Les cahiers des colles de Bertrand Athouel (ebook)

Livre au format Epub pour liseuse, tablette, smartphone, ordinateur etc. 
Ce livre rassemble quelques-unes des chroniques parues dans "Colles en Stock" depuis sa création en 1993. L'objectif en était alors de traiter du collage et de sa périphérie sous toutes ses coutures (toutes ses collures plutôt) : artistes, techniques, littérature, expositions... bref de contribuer à la petite histoire d'un grand art. Étrange paradoxe d'ailleurs que celui qui consiste à écrire des papiers sur des gens qui passent leur vie à en découper ! On trouvera donc ici et là -sans souci d'unité très formelle- des portraits "sérieux", des approches thématiques, des entretiens... ainsi que quelques traits d'humour-humeur, tant il est vrai que, à force de compulser la presse afin d'y trouver sa matière première, le collagiste ne pourra s'empêcher d'y dénicher certaines "brèves" , sinon de comptoir, du moins de gale­ries, qui le laisseront perplexe, le ciseau en suspens et le cutter dubitatif !
Extrait :
Coller c'est voler !
En ce qui me concerne je n'ai jamais eu à me réjouir ni à déplorer le vol d'un de mes collages (pour les quelques idées intéressantes que certains de ces tableaux contenaient, c'est une autre histoire..) Mais après tout ce n'aurait été que justice, car (dans mon cas) le collage est déjà en soi le produit d'un vol (avec violence à l'encontre des vieux papiers et parfois préméditation) dès lors que ma pratique relève du prélèvements  : d'intimité, de fragments de vie que l'Histoire avait renvoyé aux oubliettes des poubelles (bleues ou vertes) ou du caniveau. J'ai ainsi 'trouvé' un jour, au hasard (supposons le) de mes déambulations parisiennes  un amas de vieux papiers, journaux, lettres, photos, etc.. qui attendaient sagement le passage de la benne à ordures. Un appartement, une cave d'un immeuble ancien venaient d'être vidés ; probablement à la suite du décès de son occupant. Je me suis emparé d'un lot d'enveloppes et de lettres à la belle écriture d'antan, qui évidement ne m'étaient pas destinées (j'ajouterais bien que je ne les aie pas lues, que j'ignore leur contenu et que je ne sais pas où je les ai rangées mais l'argument a déjà servi me semble t'il, et de plus ce n'est pas la vérité). Il s'agissait en fait d'une correspondance amoureuse entretenue durant les années de guerre. Lui écrivait sur du papier bleu clair, Elle répondait sur un papier jaune. Le récit de leur intimité, qui aurait du les rejoindre dans le néant a ainsi défilé devant mes yeux de voleur/ voyeur peu scrupuleux.
J'ai bien sur utilisé ces lettres pour un de mes collages, ma position étant (à ce moment la) purement esthétique. Tout au plus ai-je veillé à réunir (en vertu des pouvoirs qui m'étaient conférés par la colle et le vernis ) un peu de son écriture à Elle et un peu de son écriture à Lui. Elle et Lui de nouveau réunis, de nouveau 'à la colle', non pas pour l'éternité (à moins que je devienne célèbre) mais pour un temps infiniment plus long que la durée de vie d'un papier sur le sol parisien. En ces temps de déontologie galopante, la question m'a souvent perturbé : en avais-je le droit ? en avais je le devoir ? (le devoir d'un collagiste).J'ose penser qu'après tout, ils ne sont pas si mal dans mon collage. Mieux que dans une usine de recyclage en tout cas. Ils voient de jolies femmes et écoutent de belles chansons sur des disques en 78 tours. Ils voient parfois du monde défiler, des indiscrets qui eux aussi cherchent à déchiffrer ce qu'ils ont pu s'écrire ces deux là. Mais j'ai pris soin de rendre leurs propos illisibles .Après tout, cela ne regarde qu'eux ... et moi. Pour toutes ces mauvaises raisons, je demande l'acquittement.